En cadeau ce texte qui me « mets les poils »…

Extrait de « Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé » par Marc-Alexandre Oho Bambe  alias Capitaine Alexandre, poète slameur. Encore merci aux amis qui m’ont offert ce beau livre, je sais qu’ils se reconnaîtront ! 37 best ideas for coloring | Heart With Hands

"Je me souviens de ce restaurant du sud de la France, vers Juan. Nous étions descendus du bus de tournée, pour boire un verre et diner rapidement. Nous venions à peine de nous asseoir à une table, qu’un homme qui se tenait près du comptoir nous avait vomi sa haine au visage. « Les nègres sont de sortie. » Aucune réaction. Et il avait répété la phrase, une deuxième fois. Je m’étais levé, avec la ferme intention de lui rentrer dedans et d’exiger des excuses. J’étais le plus jeune du groupe, le plus impulsif aussi, et j’avais tellement souffert de ce type de propos, enfant, que je mettais un point d’honneur à ne pas les laisser passer. Al m’avait retenu par le bras. Et s’était tourné, vers l’autre. « Oh non, encore un raciste amateur… », et il avait ajouté en s’adressant au barman : « Patron, s’il vous plait, demandez à ce monsieur ce qu’il veut boire et mettez-le sur ma note, je compatis à son mal-être… »

Al avait poursuivi, devant l’auditoire médusé : « Y a-t-il des racistes professionnels dans la salle ? Je veux dire des vrais, capables de nous empêcher de bosser, de nous loger, d’avoir une belle vie ou tout au moins de passer une bonne soirée ? Vous voyez, les racistes professionnels quoi, avec du pouvoir quand même… Parce que là, j’avoue le niveau est bas, trop bas, ‘les nègres sont de sortie’, si ce n’est pas de l’amateurisme ça, je ne sais pas ce que c’est, et pourtant je m’y connais quand même dans l’affaire vous pouvez me croire, à l’âge que j’ai, j’en ai vu et entendu, et là, vraiment c’est petit petit niveau et j’ai pitié du monsieur, allez patron, offrez-lui un verre, de la part des nègres, et s’il y a d’autres racistes de son acabit, ou des pros, servez-les aussi, c’est ma tournée, je m’appelle Al Nyerere et je ne les salue pas, ou alors bien bas, plus bas que terre, cette terre où nous retournerons tous poussière, tous vous savez, tout autant que nous sommes… »

Standing ovation, à notre table, suivie d’applaudissements, dans la salle. L’autre, l’homme qui se trompait peut-être de colère, ou projetait injustement sa violence sur la couleur de nos peaux, n’avait pas pipé mot et était sorti, tête basse, en adressant quand même à notre endroit un dernier regard froid et un signe de la main, ou plutôt du doigt, sans équivoque. Nous avions ri plus fort encore, sans lui offrir notre attention, il ne la méritait pas. Ce soir-là, Al nous avait enseigné, à moi surtout, à prendre de la hauteur, à toujours essayer de ne pas, de ne jamais s’abaisser à la vulgarité, à « rester élégant, même par mauvais temps », comme disait un de ses amis, Rodney, rencontré à Port-au-Prince."

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